Canecillos románicos de san Esteban en GALBÁRRULI (La Rioja). De izquierda a derecha se representan una figura humana(saludando,un martir?), un caballero y un monje.Hacer clic sobre la imagen para saber más

 

 

 

 

 

Le mester de clerecía a doublement une origine française. Son vers est celui du Poème d' Alexandre, en dodécasyllabes (6e -f- 6e)2 ; et sa strophe a préexisté chez nous, notamment dans le Poème moral, où elle est employée exclusivement. C'est ce qu'on peut affirmer en attendant la preuve du contraire 3. Cette cuaderna via dominera pendant deux siècles la poésie narrative, morale ou religieuse, triple aspect dont les lignes ne sont pas toujours distinctes ; mais elle n'a pas étouffé d'autres formes, notamment, autant que nous sachions, celle de la poésie proprement lyrique, chantée ou non, et celle où l'on peut être tenté de voir l'origine du théâtre, religieux ou profane. Il y a un inventaire à faire.

La question se pose de savoir s'il faut voir des alexandrins dans la Disputa del Alma y del Cuerpo, inspirée par un poème français et transcrite au bas d'une donation datée de 1201 4. On pourrait aussi bien la découper en vers de 6a approximativement5, vu les rimes ou assonances des deux hémistiches qui formeraient ces alexandrins. On peut reconnaître des alexandrins, à côté de vers plus courts, dans le Misterio de los Reyes Magos6, qui serait des environs de 1200. Enfin, Elena y Maria, dispute entre l'amie d'un clerc et celle d'un chevalier, qui a des antécédents en latin et en français dès le xiie siècle, et qui serait du xiiie, est en vers de 7a, sauf exceptions (si bien qu'on peut douter que le poète ait cherché l'isométrie) 7.

Deux poèmes qui paraissent être des environs de 1200 et qui annoncent les thèmes traités par Berceo au xiiie siècle, mais dans un mètre considéré aujourd'hui comme irrégulier8 (vers de huit ou de neuf syllabes, et même de sept et de onze, sans comp­ter la finale atone s'il y en a une), ce qui n'est pas sans exemple en France à la même époque, montrent bien que l'isométrie ne s'imposait nullement alors. Ce sont La vida de Santa Maria Egipciaca et le Libro de los tres Reyes de Oriente 9, auxquels on peut ajouter la chanson du veilleur « Eya velar » qu'on trouve dans le Duelo de la Virgen de Berceo 10 ; mais, pour ce dernier cas, il s'agit en somme d'un chant lyrique, comme l'archiprêtre de Hita en mettra dans son œuvre, lui aussi.

Or, le chant lyrique tient une place essentielle dans la produc­tion de l'époque. Les Cantigas attribuées à Alphonse X (-f-1284), au nombre de plus de 400, sont en galicien, dialecte préféré, sans doute, des compositeurs d'alors. Elles sont en strophes formées de vers plus ou moins longs : cantiques en l'honneur de la Vierge, sur des airs et des rythmes arabes à ce qu'il semble 11. Une soixantaine environ sont à peu près purement lyriques ; les autres sont des légendes qu'on trouve, pour la plupart, dans le Spéculum historiae de Vincent de Beauvais 1264) ou dans Gautier de Coincy, ou encore dans les Etymologiae d'Isidore de Séville, les Acta martyrum, ou chez la nonne saxonne Hroswitha (xe siècle). Étrange synthèse d'Orient et d'Occident ! La technique lyrique est celle du zejel ; le texte est tiré en majeure partie du fonds latin de la littérature mariale. Et c'est en plein xme siècle que ces chants font concurrence, sous forme chorale, à la récitation de la cuaderna via pour les miracles de Notre-Dame ! Car Gonzalo de Berceo, on le verra, en raconte à sa manière vingt-cinq, dont dix-huit sont traités dans les Cantigas.

Revenons à la cuaderna Ha, à cette prose12 très spéciale, dé­coupée sur un patron de 4 x 2 x 6 syllabes (sans compter les atones finales facultatives de chaque hémistiche), patron qui, du reste, en dépit des corrections qu'on a cherché à apporter aux manuscrits, s'étire de plus en plus fréquemment vers le double octosyllabe du romance. L'écueil, c'est la « cheville » ; car il faut faire le plein, autrement dit, boucler la boucle. Or, précisément, c'est ce qui amènera un Gonzalo de Berceo à glisser là des ré­flexions personnelles, des mots qui peignent, qui font voir, et des trouvailles d'expression qui sont la grâce de son récit, avec d'au­tant plus de relief que le rythme a l'air plus rigide et guindé13. C'est infiniment plaisant, dans le bon sens du mot14. Cela, nous le retrouvons aussi, par moment tout au moins, chez les autres amateurs de ce genre, où l'esprit assouplit la raideur de la forme 15. Chez l'archiprêtre de Hita, ce sera comme un feu d'artifice.

A part ce dernier, on peut affirmer que la loi du genre paraît être la fidélité aux textes, aux sources, dirions-nous ; car il s'agit bien de poètes érudits, en ce sens que leur inspiration est livresque et qu'ils croiraient vraiment trahir au moins le lecteur, s'ils ne se référaient pas à quelque écrivain latin. Pour ces romancistas, qui comprenaient le latin, mais n'auraient pu se risquer, si on les en croit, à écrire en latin, tout ce qui était en cette langue des clercs portait par le fait l'estampille de la vérité. Du moins, ils affectent de l'admettre, ne serait-ce que pour authentiquer plus aisément leur récit. Non pas qu'ils ne se donnent quelque liberté, mais pour le rendu, non pour le fond, sauf quand ils ont mal compris, car alors ils se tirent d'affaire comme ils peuvent. Par là encore, il y a de la discipline, de la tenue.

Cette tenue qu'affecte le mester quant à la forme et quant à l'authenticité n'exclut pas certaine coquetterie juglaresca, très manifeste chez Berceo, par exemple. Concession au goût popu­laire? Parodie, plutôt, on pourrait penser que le « clerc «s'adresse au même public que le jongleur. En principe, il ne semble pas. Il est possible que les jongleurs aient un beau jour débité sur la place publique des cuartetas du San Millán ou des Milagros : telle n'était pas leur destination primitive, semble-t-il. L'œuvre de Berceo était faite pour être lue dans un cercle plus fermé16, sans que pour cela ce fût un auditoire de cour comme sera celui d'Iñigo de Mendoza ou de Montesino, ou celui d'Encina, au temps d'Isabelle. Imaginons un public de clercs, de moines, des manières d'intellectuels comme il pouvait y en avoir dans cette Rioja où les couvents entretenaient, apparemment, une certaine culture : cela se voit au sourire qui anime toute cette poésie. Il y avait aussi de braves laïcs qui ne savaient pas lire, mais n'en avaient pas moins la finesse du campagnard : cela se voit au lan­gage, aux images, à l'air « bon enfant » et au « sans-façon » du récit. C'était une classe moyenne ; au demeurant, la crème de la Rioja...

L' Alexandre, l'Apolonio ont bien pu, de même, être lus ou récités dans les marchés ; mais ce fut une fortune inattendue. Ils représentent la littérature cléricale, eux aussi, ce qui ne veut pas dire qu'ils ne furent jamais lus qu'en particulier et non pas devant des foules, l'Apolonio surtout, avec son sujet ultra-romanesque. Moins juglarescos l'un et l'autre que les productions de Berceo, peut-être. Mais, si Berceo l'est, il ne l'est que pour une sorte d'imi­tation humoristique. Il s'intitule juglar de Santo Domingo (str. 775) ; et il commence par déclarer (str. 2) que sa « prose », c'est-à-dire ses vers, lui vaudra bien un verre de bon vin. Le fait est qu'en terminant il demandera seulement un Pater noster ; et autant en demanderont l'auteur de VAlexandre (str. 2639 du ms. de Madrid, éd. Morel-Fatio) et celui du Libro de Buen Amor, qui réclame en plus un Ave Maria (str. 1633 de F éd. Ducamin). Peut-être ce dernier charge-t-il du côté pieux pour donner le change ; peut-être aussi est-il sincère, car chez lui il y a un homme, mais c'est tout de même un homme d'église. Apparemment, ces gens-là voulaient bien se donner, mais non être pris pour des jongleurs. Cette nuance les classe. Cela à part, si l'on se rappelle la physionomie de l'épopée populaire, du cantar, du Mio Cid par exemple, on est frappé de constater nettement plus de fami­liarité, moins de solennité d'allure dans ce mester, moins de ma­jesté, point du tout même. En dépit de la tension rythmique, l'auteur aime à faire sourire, par sa grâce, sa finesse, ses malices presque. Sans doute, le poète du Mio Cid s'adresse à son auditoire, l'interpelle, le prend à témoin, revient à son récit : c'est bien la prise de contact du jongleur avec son public ; mais rarement les vers alexandrins atteignent le niveau de pathétique si simple, de poésie, où, dans les grands moments du Cantar, sans effort du reste, nous transporte telle description rapide ou telle riposte, tel affrontement de personnages, qui est vraiment un drame. La discussion âpre et longue (str. 131-180) entre le roi de Nâjera, Garcia, et Domingo, en dépit du geste vraiment bien saisi du souverain quand il s'en va, furieux,

afibloso el manto, partiosso del conuento...

est-elle à la hauteur de tant de splendides scènes, dignes d'Homère, d'Eschyle ou de Sophocle, que l'on trouve tout au long des laisses si souples du Mio Cid?

Ce mester a un domaine très large, plus large que l'épopée, qu'il recouvre et dépasse. Avec une aisance, une simplicité, parfois une bonhomie qui rappelle franchement le jongleur malgré le lourd appareil du tétrastique, Gondalo de Berceo nous raconte les histoires des saints de la Rioja (Santo Domingo de Silos, San Millán, Santa Oria), ou d'ailleurs (San Lorenzo), les Milagros de Nuestra Señora et aussi ses Loores; il clame le Duelo de la Virgen, commente le Sacrificio de la Misa, les Signos que aparecerán ante el Juicio. Un certain Lorenzo Segura, clerc d'Astorga, paraît bien être l'auteur, et non plus simplement le copiste, d'un Libro de Alexandre, où le dialecte léonais est reconnaissable. Un Aragonais a choisi l'histoire d'Apollonius de Tyr, où Ton rencontre de charmantes héroïnes, mère et fille, Luciana et Tarsiana, celle-ci sur­tout, que son père retrouve en de scabreuses mais bien jolies circonstances. Qui dira ce que ces deux romans ont fait germer de vocations chevaleresques, de goût pour la découverte, la con­quête et l'aventure? Ils ne sont pas à considérer et à mettre en bonne place dans l'histoire littéraire seulement, mais aussi dans l'histoire tout court. Et, pour ce qui est de l'histoire littéraire, la gentille Tarsiana, ne la retrouvons-nous pas dans la Gitanilla de Cervantes? Quant à l'histoire, l'épopée plutôt (car elle peut être mise en parallèle, très au-dessous, avec le Mio Cid), l'épopée en quatrain qu'est le Fernán Gonzalez, elle n'est pas sans rapport avec les chansons de geste françaises (Chanson d'Aspremont, Mainet, Floovant, Fierabrás. Lancelot, (etc.). Elle a été rédigée, semble-t-il, par un moine de San Pedro de Arlanza, où était enterré le fameux comte. Elle respire un patriotisme castillan qui s'exalte au souvenir des guerres contre la Navarre.

Ce sont des œuvres relativement longues : les Signos n'ont que 77 strophes, mais l'Apolonio en a 656, le Fernán Gonzalez 752, sans compter les lacunes ; et l' Alexandre, 2,675, ce qui, tout en étant loin encore des 20,000 vers du roman en alexandrins français, fait tout de même un total de vers presque triple des 3,730 que compte l'unique et incomplet manuscrit du Mio Cid. Si un jour on en vint à les débiter en plein air, ce fut sans doute pour faire diversion aux cantares en décadence.

La forme du vers en est en principe française : c'est la première invasion constatable d'un rythme étranger en Espagne, après celle des mètres et des rythmes latins et en dehors de l'influence arabe ; celle de l'hendécasyllabe italien sera la seconde, l'origine de l' arte mayor n'étant pas élucidée.

Quant aux sujets, on le voit, ils sont ou religieux ou antiques, par conséquent du domaine international, à l'exception du Fernán Gonzalez, épopée nationale dans le nouveau style.

Hors ce dernier cas, les sources latines sont au premier plan, même pour la Vida de Santo Domingo, paraphrase d'une Vita écrite après 1088 par le moine Grimaldus. Les Milagros ne doivent rien à notre Gautier de Coincy17 : vingt-quatre sur vingt-cinq se retrouvent, pour le fond, dans un manuscrit latin de Co­penhague. Le vingt-cinquième et dernier appartient à l'histoire de l'Espagne, il est placé au temps de Ferdinand III : c'était donc de l'histoire contemporaine, consignée peut-être déjà dans quelque relation latine.

Le Libro de Alexandre18 dépend avant tout de l'Alexandreis, en hexamètres, de Gautier de Châtillon, un Français, il est vrai, mais latinisant ; il utilise aussi d'ailleurs l' Alexandre français de Lambert li Tors et d'Alexandre de Bernay (ou de Paris), auquel il a emprunté son mètre, on l'a vu, et qui ne dépend pas de l' Alexandreis ; et il insère une « Guerre de Troie » (439 str.)19 tirée, non de l' Iliade d'Homère, mais, directement ou non, Io des his­toires latines attribuées à Darès le Phrygien et à Dictys de Crète, sources du Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure (vers 1154), d'où procèdent une Historia Troyana en vers et en prose (xiiie siècle) et une Crónica Troyana exécutée vers 1350 pour Alphonse XI ; 2° de l'llias en hexamètres latins qui porte le nom de Pindare le Thébain. S'il omet l'épisode du « Fuerro de Gadres », il conserve celui de la création des douze pairs, comme ceux de la plongée sous-marine et du voyage aérien, qui, par le roman français et l' Historia de praeliis de l'archiprêtre Léon, pro­viennent du Pseudo-Callisthène grec, mais sont absents de l'Alexandreis et se retrouvent avec de curieuses variantes dans le Dulcarnain, histoire hispano-arabe du même Alexandre.

Le Libro de Apolonio suit une Historia Apollonii régis Tyri, qui remonte à un roman hellénistique ; il emprunte peut-être quelque détail à une des histoires réunies dans les Gesta Romanorum, ainsi qu'au Panthéon de Godefroy de Viterbe.

Ces indications, réduites au minimum indispensable, montrent la complexité de ces questions de littérature médiévale comparée et, par surcroît, la vogue des thèmes traités.

Quant au Fernán González, si l'auteur a eu recours, à ce qu'il paraît, au Chronicon de Luc de Tuy (1236), ce qui par le fait le daterait, il ne manquait pas, sur place, de documentation historique, non plus que de traditions orales, voire poétiques, c'est-à-dire de cantares. Et la donnée romanesque, la libération du comte captif par la sœur de son ennemi, c'est peut-être jusque dans les Controversiae de Sénèque qu'il faudrait en chercher le germe, à travers encore une des histoires des Gesta Romanorum. On la retrouve, en tout cas, dans la chronique contenue dans le manuscrit de Léon20, terminée à Nàjera après 1159, laquelle la consigne comme un événement historique, et où il s'agit bien de la sœur et non de la fille du roi Garcia. On la retrouve aussi, avec des adaptations appropriées, dans mainte chanson de geste fran­çaise postérieure21.

Telle est la floraison première, contemporaine de saint Ferdinand (1217-1252), de la prise de Cordoue (1236) et de Séville ' (1248). Ajoutons des Disticha Catonis en alexandrins fort irréguliers, pour insister sur le caractère érudit de cette littérature.

Vu la difficulté d'établir une chronologie précise pour la composition de ces poèmes qui, dans la première partie ou vers le milieu du xiiie siècle, ont adopté les formules nouvelles, on pourrait admettre logiquement et provisoirement, mais non nécessairement, que le plus ancien est le Libro de Alexandre; ceux de Berceo seraient une application « a lo divino ». En fait, il semble que ceux-ci, sous l'inspiration du Poème moral, aient été commencé dès 1220, et celui-là quelque vingt ans plus tard,; et le Fernán González est postérieur à l'Alexandre, auquel il fait allusion : on le place vers 1255.

A la cuaderna via appartiennent aussi plus ou moins nettement un des onze développements en vers (14 str.) de l'Historia Troyana, une Vida de San Ildefonso22, qui peut avoir été versifiée en 1302, et un Libro de miseria de homne23; des Proverbios de Salamon (xive siècle)24; enfin, un -poème aljamiado (en castillan, mais en caractères arabes), le Poema de Yuçuf25, et un autre poème analogue, les Copias de Yoçef (en castillan, mais en caractères hébraïques) : le premier paraît être du xive siècle ; le second (publié par González Llubera en 1935), également ; et il présente une rime intérieure entre hémistiches premiers 26, ce qui aboutit à des strophes de huit heptasyllabes (6a), dont le dernier se termine par le nom Yoçef.

Par exception, voici deux œuvres de morale qui sont du xive siècle et n'appartiennent pas au mester de clerecía : l'une est d'un rabbin, qui n'avait peut-être pas de raison pour adopter ce mètre, Sem Tob, et elle est formée, sous le titre de Proverbios morales27, de 686 quatrains heptasyllabiques (6a) ; l'autre, due à un certain Pedro de Veragüe, constitue un Tractado de la Doctrina en 154 tercets octosyllabiques (7a) monorimes, suivis chacun d'un pié quebrado (demi-vers) 28.

Avec le temps, le cadre du mester de clerecía, d'abord limité en fait à la poésie narrative, s'étend à tout ce qu'on peut appeler poésie morale et religieuse, ainsi qu'on le verra avec Pero López de Ayala ; mais il partage avec le lyrisme ce vaste domaine. Au fond, la cuaderna vía n'était-elle pas réglée pour donner des con­seils, comme le Poème moral, plutôt que pour raconter des histoires ?

Au surplus, dès le xive siècle, nous voyons le mester concurrencé par une autre technique de poésie narrative qui rappelle assez le romance. Le Poema de Alfonso onceno, où est racontée l'histoire de ce souverain à partir de 1312, et qui est incomplet (il s'arrête avec le premier mot de la strophe 2456), est en redondillas, c'est-à-dire en quatrains octosyllabiques (7a) rimes abab29.

Au xive siècle, la cuaderna vía brille surtout, quoique sans une absolue fidélité aux règles métriques primitives, dans le Libro de Buen Amor (1330-1343) de Juan Ruiz, archiprêtre de Hita (dont une édition d'après les manuscrits a été donnée par Ducamin en 1904, et une avec notes par Cejador dans la « Lectura »)30 ; puis dans le Rimado de Palacio (avant 1404) de Pero López de Ayala. La Danza de la Muerte est du début du xve siècle. Le second n'est pas sans quelque analogie avec le premier, qui, non plus que la Danza, n'est pas sans devoir quelque chose à notre littérature.

Juan Ruiz, né à Alcalá de Henares, a dû mourir vers la fin du règne d'Alphonse XI (1350), à soixante-sept ans environ. Il n'est pas facile de juger son œuvre, ni même de la comprendre (non plus que de traduire le titre : « Livre du Bel Amour »?). Elle n'a pas dû être écrite en une fois, ni avec un but déterminé. Elle a pris toute la vie de l'auteur, qui y a mis des compositions de jeunesse pêle-mêle avec celles de son âge mûr, encadrant le tout de considérations dictées par l'expérience, le repentir peut-être : tout à fait dans l'esprit de ce De amore 31 le chapelain royal André exposait insidieusement « le code amoureux et mondain de la société courtoise du xiie siècle » (A. Pagès). Il faut songer qu'avant d'être archiprêtre il avait été étudiant (les séminaires n'existaient pas encore !) et que, si tous les hauts fonctionnaires ecclésiastiques, notamment les archiprêtres, avaient de son temps mené une vie exemplaire, le besoin de réforme ne se serait pas autant fait sentir un siècle plus tard. A preuve ce que nous raconte notre archiprêtre de Hita avec un humour déconcertant : ce mandement archiépiscopal que l'archiprêtre de Talavera a la mission pénible de lire à ses clérigos et qui l'atteint aussi bien qu'eux

Cartas eran venidas que dizen en esta manera :

que clerigo nin cassado de toda Talabera

que non touiese manceba cassada nin soltera,

qual quier que la touiese descomulgado era. (Éd. Ducamin, str. 1694.)

Changea-t-on, par la suite, grand'chose aux habitudes. Tou­jours est-il qu'à Talavera même, bien longtemps après (en 1536), il devait naître au doyen de la Collégiale un fils, qui fut le grand historien de l'Espagne, le jésuite Mariana. Il faut tenir compte aussi de l'ambiance littéraire. Ruiz, dans le lointain du xive siècle, nous apparaît à peu près isolé. En réalité, il vivait dans un milieu où il rencontrait des ribaldi, des goliardi 32, comme il y en avait dans toute la chrétienté et où la chanson faisait fureur avec tout l'excitant de la foule et des assistants, des juglares, des juglaresas, des cantaderas. Et ne fût-ce que par une humoristique assimilation, ainsi que faisait Berceo quand il demandait un verre de bon vin, Ruiz avec son entrain, sa verve, ne pouvait s'abstenir de prendre le ton, au grand plaisir de ses auditeurs, ou de ses lecteurs. Aussi bien la chanson s'est-elle fait place dans ces plaisants « miscellanea » qui constituent son Libro de Buen Amor. Nous la retrouvons dans ces zejeles, curieux emprunts à la lyrique arabe, spécialement andalouse, d'une inspiration très chrétienne du reste, intitulée : « De como los scolares demandan por Dios », un modèle du genre pour les étudiants quêteurs. Il a dû les composer, musique peut-être aussi bien que lettre, pour les camarades. Et il y en a un autre, où l'archiprêtre se plaint de l'entremetteur qui l'a mal servi auprès de la boulangère (panadera). Chansons aussi, ces Gozos ou Loores de Santa Maria dont les rythmes tranchent singulièrement sur la cuaderna via. Chansons enfin, ces Canticas de serrana, qui, au nombre de quatre (trois en vers octosylla-biques et une en hexasyllabes), sont précédées de préambules explicatifs en quatrains d'alexandrins et les encadrent, si bien qu'on pourrait se demander si elles sont bien de notre auteur et s'il n'a pas fait œuvre de folkloriste, recueillant des airs et des paroles populaires ; mais lui-même déclare nettement que c'est lui qui les a composées :

Fyz de lo que passô las coplas deyuso puestas... (str. 958).

Desta burla passada ffiz un cantar atal... (str. 986).

De quanto ay passó fize un cantar serrano... (str. 996).

Il parle même, en présentant la quatrième cántica de serrana, de deux autres :

De quanto que me dixo e de su mala talla

Fize bien tres cantigas, mas non pud bien pyntalla ;

Las dos son chançonetas, la otra de trotalla ;

De la que te non pagares, veyla e rye e calle (str. 1021).

II.en manque donc deux, et quantité d'autres, cantares, coplas, trobas caçurras, ainsi que le remarque Pidal, qui a merveilleusement saisi le vrai caractère de cette œuvre fantastique ; comme manque sans doute, à la fin, cette Cantiga de los Clérigos de Talavera, dont l'histoire, ci-dessus rappelée, n'est qu'une entrée en matière (voyez les serranillas). Il a donc fait, comme d'autres, des chansons, de quoi remplir « diez pliegos », affirme-t-il. Ce n'est pas nécessairement lui qui les a retirées de la collection.

Cette'intrusion du lyrisme populaire dans la poésie narrative soumise aux lois du mester de clerecía est intéressante et significative ; elle donne le ton et ajoute du sel à l'œuvre de Ruiz, qui a su composer une manière d'épopée personnelle, burlesque et truculente, dont il se présente comme le héros (ainsi feront volontiers les auteurs picaresques). Il y a mis, avec les introductions aux Cantigas de serrana, des fables (vingt et une), habilement amenées, qui font de son livre un Libro de exemplos et que peuvent seules, pour nous, égaler celles de notre La Fontaine ; des discussions plus ou moins morales avec l'Amour en personne ; des histoires d'entremetteuse qui en disent long par le seul surnom de la dame, Trotaconventos, autrement significatif que le nom de Célestine : aussi la pleure-t-il éloquemment (trait de mœurs bien espagnol), en cinquante-six strophes, lorsqu'elle lui fausse compagnie en mourant, et lui rédige-t-il, en trois autres, une épitaphe ; ce qui n'empêche pas cet homme endeuillé, mais soucieux de la morale, de développer ensuite ce thème : « De quales armas se deue armar todo cristiano pera vencer el diablo, el mundo e la carne. » Les contradictions n'arrêtaient pas son élan. Mais ces contradictions n'étaient-elles pas, de son temps plus peut-être qu'aujourd'hui, comprises et pardonnées, sinon admises? Autrement, à quoi eût servi la pénitence? et même la repentance? Il put le savoir, s'il est vrai qu'il resta treize années en prison sur l'ordre de son archevêque. A cause de son œuvre? ou à cause de sa vie? En tout cas, malgré les ablations dont la censure ecclésiastique pourrait bien être responsable, cette œuvre, heureusement, reste : produit typique et impérissable du génie espagnol vigoureux, débordant de vie, aimant l'allégresse, mais suscep tibie de retours, aux appels de la morale. Un clérigo ajuglarado, voilà bien ce qu'il a été, comme l'a dit Pidal. Et entendons le mot clérigo en deux sens : c'est un membre du clergé, sans doute assez représentatif de l'époque ; et c'est un des maîtres du mester de clerecía, technique qui au bout d'un siècle et plus n'était point, certes, en décadence, bien au contraire, et s'annexait les productions du lyrisme. Il n'y a qu'à voir cette verve, cette désinvolture, ce pittoresque ! Ajoutons : cette fantaisie ! Et ne prenons son poème ni pour une autobiographie ni pour une confession ! Rien ne prouve, après tout, que sa Trotaconventos lui ait rendu tant de services. L'épisode d'Endrina, où elle joue un rôle si actif, et qui occupe trois cents strophes, soit le sixième du poème, est inspiré du Pamphilus, écrit au xiie siècle, en distiques latins ; et il le suit de très près, comme a montré Lecoy1. Rien ne prouve non plus que ses quatre histoires de serranas soient autant d'aven­tures personnelles. Les deux thèmes lui ont paru amusants, pour ses auditeurs ou lecteurs comme pour lui-même. Sa Cantiga de los Clérigos de Talavera, ou plutôt ce qui en est l'introduction, rappelle assez, pour nous mettre en garde, la Consultatio sacerdotum de Walter Map, antérieure d'un siècle et demi : tout lui était bon, pourvu que le sujet fût drôle ; et, de drôleries, il avait un bon répertoire, très mêlé : des cantigas qui étaient de vrais cantiques, et d'autres qui étaient plus profanes. Tout ce qu'on trouve dans ces derniers n'est pas à prendre à la lettre pour écrire la vie de l'auteur ; mais, évidemment, nous ne sommes plus ni au temps ni dans le milieu de Berceo.

Puisque (nous, le constatons) le lyrisme a envahi, avec notre archiprêtre34, les emprises du mester de clerecia, ajoutons que la poésie à la fois rustique et grotesque des Serranillas semble bien être une parodie des Cantares gallegos, si sincèrement émouvants ; mais la nature y est tout de même présente, quoiqu'elle n'y soit pas vue ou du moins décrite en beau. La sierra en hiver fait le fond de ces pittoresques caricatures. C'est bien une poésie hivernale, sans d'ailleurs qu'on y voie poindre le sentiment des beautés entrevues, non plus que la préoccupation de les décrire ; simple évocation : une montagnarde, une vachère, au travail ou au repos, sous les pins ; et c'est une sensation de froidure que perçoit le lecteur. Il faut attendre Santillane et le xve siècle pour contempler, derrière une gracieuse silhouette de paysanne, un paysage agréa­blement fleuri, une poesia primaveral35.

Pero López de Ayala (1332-1407) est une des figures littéraires intéressantes du xive siècle, à juxtaposer et à opposer à celle de Juan Ruiz. C'était un érudit : il a traduit Tite-Live. Il a joué un rôle politique important sous les règnes de Pierre le Cruel, de Enrique II, de Juan Ier et de Enrique III ; il en a écrit la chronique36. Il fut fait prisonnier deux fois, à Nâjera et à Aljubarrota. Son Rimado de Palacio, comme le Libro de Buen Amor, appartient au mester de clerecia37, mais utilise à l'occasion, pour une cântiga à la Vierge, la strophe de six alexandrins (str. 712-724) ; de même pour un deytado (str. 712-724) ou une oración à Dieu (str. 762­774) ; des octaves d'arte mayor (str. 794-829), dénommées aussi deytado; et enfin des mètres proprement lyriques dans des cantares presque tous adressés à la Vierge, mais avec la rubrique cantar, qui les différencie de la cantiga, et tous en vers de 6a ou 7a (str. 746-749, 754-757, 835-839, 842-845, 856-858, 863-868), où s'insèrent des tétrastiques de vers de 7a + 7a (str. 707-710, 780­783)1. Et c'est aussi une satire, mais sans gaieté, de la société contemporaine. L'auteur débute par une invocation :

En el nombre de dios, que es vno, Trinidat... ;

et les titres mis en tête des différents développements de ces 1,609 strophes (y compris celles qui ne sont pas en tétrastiques d'alexandrins) en disent suffisamment sur le contenu et les ten­dances : « Aqui comiençan los dies mandamientos... Aqui comiençan los siete pecados mortales... Aqui comiençan las siete obras de misericordia... Aqui comiençan las siete obras spirituales... Del gouernamiento de la República... », etc. La seconde moitié ne contient ni cantigas ni cantares, à la différence de la première, qui en est émaillée. Elle suit ou commente les Moralia de Grégoire le Grand ; et le nom de Job y revient naturellement, comme dans le modèle, à chaque instant : tout cela est austère et ferait regretter les saillies de l'archiprêtre ; mais nous y voyons avec profit les préoccupations d'un homme du siècle, que l'expérience et la ré­flexion, l'âge sans doute aussi, ont amené à concevoir la vie « sub specie aeternitatis ». Et il y a là pour nous une excellente docu­mentation sur la mentalité de l'époque. Mais, dans la première moitié, la partie proprement satirique, qu'il s'agisse de « los fechos de palacio », c'est-à-dire de ce qui se passe à la cour, ou des mercadores, des letrados, des arrendadores (parmi lesquels le Juif a son rôle), ou des « militaristes » :

Cobdiçian cavalleros las guerras cada día,

Por levar muy grandes sueldos e levar la quantía

E fuelgan quando veen la tierra en robería,

De ladrones e cortones que lievan en compannía... (str. 337),

ou des « marieurs » (« Aqui comiençan casamientos ») :

Si supiere en la villa algún casamiento fino,

Luego pone sus corredores e andan por el camino,

E disen, dadme esta moça para un moço mi sobrino,

Ca siempre sera buen omne, yo lo veo en su signo... (str. 367),

cette partie nous rapproche du Libro de Buen Amor et vaut plus particulièrement la lecture. Quant aux développements d'ordre politique, sur le pouvoir royal, ou sur le Schisme d'Occident (en strophes d'arte mayor), ils représentent pour nous la presse de l'époque : ce sont des textes pour l'historiographie espagnole. Avec cette longue production, qui clôt le xive siècle et la vie d'un homme d'action et d'un homme d'études, nous nous retrouvons dans la tradjtion de ce « Poème moral », qui paraît bien avoir donné l'impulsion à tout ce mester de clerecía, avant tout didac­tique ou religieusement philosophique, devenu narratif par une déviation inattendue.

Dépourvu du charme musical des Cantigas, mais d'une belle tenue, comme sera notre alexandrin classique, et susceptible de se mettre à tous les diapasons de l'idée, ce mester a été l'instrument des lettrés durant deux grands siècles du Moyen-Age espagnol.

On vient de voir l'arte mayor pénétrer dans les emprises de l'alexandrin avec López de Ayala. Il avait déjà fait son apparition dans les distiques que Juan Manuel mettait en conclusion de ses Enjemplos et certaines copias (1049-1058) de l'Archiprêtre de Hita que Cejador découpe, avec raison peut-être, en hexa­mètres (5a)1.

L' Arte Mayor s'imposera au xve siècle et, dès le xvie, cédera la place à l'hendécasyllabe (auquel s'essaye déjà le marquis de Santillane), pour disparaître, tandis que l'alexandrin reviendra, plus brillant que jamais, avec le Nicaraguayen Rubén Darío. Affaire de mode ! Mais, pour nous surtout, qui sommes restés fidèles à l'alexandrin, n'y a-t-il pas là quelque chose de déconcertant?

 

 

 

NOTAS

1. Pour plus de commodité, voici les indications bibliographiques indispensables, qu'on trouvera du reste pour la plupart dans les manuels de littérature espagnole :

A peu près tous les textes du « mester de clerecía » sont réunis dans le t. LVII de la B. A. E. Éditions récentes : La Vida de Santo Domingo de Silos par Gonzalo de Berceo, éd. crit. de John Fitz-Gerald Bibl. de l'École des Hautes-Études », 1904) ; Milagros, éd. Solalinde (dans « Lectura », 1922); Sacrificio de la Misa, éd. Solalinde (1913); Cuatro poemas de Berceo, éd. Carrol Marden (Rev. Fil. Esp., Anejo IX, 1928) ; Berceo, Veinte milagros, par le même (ibid., An. X, 1929). — El Libro de Alixandre, publ. par A. Morel-Fatio (Dresden, 1906); El Libro de Alexandre, by R. S. Willis Elliott Monographs », 1934). — Poema de Fernán Gonçalez, éd. Carrol Marden (Baltimore, 1904). — Libro de Apolonio, éd. Carroll Marden Elliott Mon. », 1917-1922, 2 vol.). Poema de Yuçuf, éd. Menéndez Pidal (Rev. de Archivos, 1902) ; Coplas de Yoçef, éd. Ig. Gonzalez Llubera (Cambridge, 1935).

Dans son Antología de poetas líricos castellanos, t. I, p. 7 et 62, Menéndez Pelayo a mis des extraits de Berceo, du Libro de Alexandre et du Libro de Buen Amor, et il en a inséré un plus grand nombre pour illustrer ses prologues si pénétrants, toujours utiles, aux t. II (p. xxxi-lxxxiii) et III (p. liii-cxiv), lesquels complètent admirablement les ch. v-vii du t. III d'Amador de los Ríos (Hist. crit, de la lit. esp., 1863).

Pour la question de l' Alexandre, cf. Morel-Fatio, Recherches sur le texte et les sources du Libro de Alexandre (Romanía, 1875); Paul Meyer, Alexandre le Grand dans la littérature française du Moyen Age (Paris, 1886) ; E. S. Willis, Thé relationship of the Spanish L. de Alexandre to the Alexandreis of Gautier de Chatillon Elliott Mon. », 1934), The debt of the Spanish L. de A, to the french Roman d'Alexandre E. Mon. », 1935). Sur le Roman de Troie et ses dérivés esp. : Le Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure, publ. par Léopold Constans Société des anciens textes français », 1912) ; A. Solalinde, Las versiones españolas del « Roman de Troie » (Rev. de Fil. Esp., 1916) ; Hist. Troyana en prosa y verso, éd. Menéndez Pidal et E. Varón Vallejo (Rev. Fil. Esp., 1934). — Pour le Dulcarnain, voir Un texte arabe occidental de la Leyenda de Alejandro, par E. García Moreno (Instituto de Valencia de Don Juan, 1929). On trouve l'Alexandreis au t. CCIX de la Patrologie latine de Migne, à défaut de Péd. Müldener (1863); les Gesta Romanorum, dans Péd. Oesterley (1871); Dares et Dictys dans la Coll. Teubner, ainsi que l' Hist. Apollonii, éd. Riese (2«, 1892) ; l' Historia de Praeliis dans les éd. de Pfister (1913), Zingerle (1885) et Hilka (1920). l'llias attribuée à Pindare le Thébain est au t. III des Poetae latini minores de la Coll. Le maire. Pour l' Alexandre français, éd. Michelant (1846), plus les fragments donnés par Paul Meyer dans son t. I. Une édition de la rédaction dodécasyllabique d'A. de Paris, et de la rédaction avec première partie (ou branche) en décasyllabes, d'après un ms., est annoncée par M. Willis.

Le livre du comte de Puymaigre, Les vieux auteurs castillans (1888), contient d'intéressants chapitres consacrés à « Apollonius », à Gonzalo de Berceo, au « Poème d'Alexandre ». Dans Hurtado et G. Palencia, v. p. 72-9, 123-134.

2.  C'est-à-dire six syllabes, plus l'atone muette e, facultative, pour chaque hémistiche. En espagnol, chaque hémistiche peut avoir une atone, mais non muette (a, e, i,o, u) ; ou deux si le dernier mot est « esdrújulo », comme dans ces vers de Berceo (Milagro de Teófilo, str. 763, éd. des Cuatro Poemas de Berceo, par Carroll Marden) :

« Sannosos me son mártires todos los confessores

Mucho más los apostólos que son mucho mejores... »

C'est, d'ailleurs, ce que note Bello dans son Arte métrica (Obras completas, dans la « Colección de Escritores castellanes ») ; il fait observer que « el más largo de todos (los yámbicos) es el alejandrino á la francesa, que consta de trece sílabas y debe tener una cesura después de la tercera cláusula, siendo siempre agudo ó grave el primer hemistiquio ; pero de tal modo que, cuando es grave, su última sílaba ha de confundirse por la sinalefa con la primera del segundo hemistiquio » (p. 295), et que « los modernos han querido dar unidad a esto verso evitando el hiato entre los dos hemistiquios » (p. 299) ; il donne comme types trois vers dont le premier hémistiche est respectivement un mot aigu (mejor), un mot « grave » (marcs), un « esdrújulo » (arbores). Dans ce dernier cas, le vers peut avoir quinze syllabes si le second hémistiche en a sept, étant terminé par un mot grave ; et même seize, si ce dernier mot est un « esdrújulo », ce qui d'ailleurs est rare;

3.  Cf. Bull, hisp., 1942, 1, p. 5 (Sur le « mester de clerecía »). Dans la note finale, p. 16, je renvoie au Traité de versification latine de Quicherat ; le Cours élémentaire de métrique grecque et latine de Louis Havet et Louis Duvau (3e éd., 1893) résume nettement la doctrine à propos des origines de la métrique latine : « De tous les vers latins, le saturnien est le seul qui ne paraisse pas être d'origine grecque ; » et encore est-il fait des réserves au sujet de ce vers saturnien : « On peut se demander si ce ne serait pas une adaptation extrêmement ancienne du vers dactylique grec... » (p. 217).
Je n'ai envisagé que les origines du tétrastique d'alexandrins. Pour le vers alexandrin lui-même et sa structure dans la poésie espagnole, je renvoie à l'article donné par Carlos Barrera dans le
Bull, hisp., 1918, p. 1-26. Sur l'emploi de l'alexandrin par Rubén Darío, voir L'influence française dans l'œuvre de Rubén Darío, par Erwin K. Mapes, sur lequel cf. mon compte-rendu dans le Bull, hisp., 1928, p. 276.

4.  Éd. Pidal, dans Rev. de Archivos, 1900. Reproduit par Pitollet, dans l' Antología de poesías líricas de la Edad Media (Hatier).

5.   Six syllabes, plus les atones facultatives.

6.   Éd. Pidal, ibid. Cf. Bull, hisp., 1941, p. 6.

7.   Éd. Pidal, dans Rev. de Fil. Esp., 1914, p. 52.

8.  Cf. Henríquez Ureña, La versificación irregular en la poesía castellana, p. 18, 26,etc.

9.   Tous deux au t. LXVII de la B. A. E.

10.   Cf. Pidal, Discurso acerca de la primitiva poesía lírica española, 1919, p. 49.

11.  Cf. J. Ribera, La música de las Cantigas (1922). Rodrigues Lapa a réuni les textes de trente-quatre de ces productions dans Alfonso x, o Sabio, Cantigas de Santa Maria (Lisboa, 1933).

12.    Cf. Bull. hisp., art. cité, p. 7, et Puymaigre, p. 271. Nous avons signalé, dans notre n° 4 de 1938, p. 470, un important article de H. H. Arnold, A reconsideration of the metrical form of « El libro de Apolonio », chiffrant le pourcentage des hémistiches irréguliers dans les productions du « mester de clerecía », suivant les manuscrits, de 2,77 à 22,8 pour 100, la versification étant d'ailleurs essentiellement la même chez Berceo, dans l' Alexandre et dans l' Apolonio (Hispanic Review, 1938, 1).

13.    « Con paso de tortuga », dit joliment Menéndez Palayo (Antol., t. III, p. lxxiii). Voir Solalinde, Intr. aux Milagros de Nuestra Señora (« Lectura », 44), p. xi.

14.   Cf. Rev. de Fil. Esp., 1922, p. 154 (L'expression dans Berceo).

15.   On le constate déjà dans le Poème moral, œuvre d'un clerc qui n'était pas un moine.

16.  C'est l'avis de J. Oliver Asín dans son Iniciación al estudio de la Historia de la Lengua española (1938), p. 51.

17. Comme croyait Puymaigre, qui analyse chaque miracle et le compare au récit correspondant de Coincy. Cf. Solalinde, « Lectura », t. XLIV, p. xviii, au sujet de la découverte de R. Becker.

18. Cf. Bull, hisp., 1936, p. 87 et 394. Voir aussi ib., 1930, p. 272.

19. Cf. mon article La guerre de Troie dans le « Libro de Alexandre » (Bull, hisp., 1937, p. 328).

20.    Cf. Bull, hisp., 1909, p. 259 (Une chronique léonaise inédite), 1911, p. 133, 381 (La Chronique léonaise) , 1916, p. 1, 141 ; 1921, p. 93.

21.    Cf. Bull, hisp., 1921, p. 1, 77, 269 ; 1922, p. 193 (Fernán Gonzalez dans la Chronique léonaise) ; 1928, p. 113 (Sur le « Fernán Gonzalez ») ; 1931, p. 104 (ibid.).

22.    B. A. E., t. LVII, p. 323.

23.    Publié par Artigas dans le Bol. Menéndez Pelayo, 1920.

24.    Éd. Kany, dans Hom. à Menéndez Pidal, I, p. 276. Versification très irrégulière.

25.    B. A. E., t. LVII, p. 413 ; Reo. de Arch. (Pidal), 1902.

26.   La Disputa del Alma y del cuerpo présente la rime (ou l'assonance) entre les deux hémistiches d'un même vers.

27.   B. A. E., t. LVII, p. 331.

28.  Ibid., p. 373.

29.  Éd. Fl. Janer, 1863 ; B. A. E., LXVII, p. 477.

30.   Voir les Recherches sur le Libro de Buen Amor de Félix Lecoy (1938 ; cf. Bull, hisp., 1940, p. 155).

31.   Sur le soi-disant Golias, cf. Ed. Faral, Les jongleurs en France au Moyen Age, p. 263.

32. Cf. Bull, hisp., 1932, p. 170.

33. Voir L'épisode de Dona Endrina dans le « Libro del Buen Amor « (Bull. hisp.1943, n° 2). On n'y trouve pas, après tout, le dévergondage de la Célestine.

34.   C'est précisément à cause des parties lyriques de l'œuvre de Juan Ruiz, comme de celle de Berceo, que Menéndez Pelayo a été si heureusement amené à faire à ces auteurs une si large place dans ses prologues de l'Antologia de poetas liricos castellanos, où, comme il dit, l'Archiprêtre « entra de soslayo » (t. III, p. lix), ainsi qu'à l'Apolonio et à l'Alexandre par surcroît.

35.   Cf. le chapitre sur les « Goigs » et leur transmission dans La littérature catalane en Roussillon, de J.-S. Pons (1929 ; cf. Bull, hisp., 1931, p. 262).« Mais qui ne sait que l'œuvre de Hita est une macédoine d'imitations françaises, qui témoigne du reste de la plus grande originalité d'esprit? », demande Alfred Jeanroy dans Les origines de la poésie lyrique en France au Moyen Age (3e éd., p. 310, note 1).

36.   Cf. ma thèse sur Les histoires générales d'Espagne entre Alphonse X et Philippe II, p. 5-6, 45, 65.

37.   Henriquez Ureña nous prévient (Versificacién irregular, p. 21) que, à partir de la str. 296, il y a une invasion de vers de seize syllabes.

38. Le. t. XXXV de la B. A. E. (p. 324) reproduit de lui deux canciones à la Vierge. La première (« Señora, estrella lucieute ») est dans le Rimado ; la seconde Si yo mi insuficiencia »), non.

39. Cf. Henriquez Urena, La vers, irreg., p. 22. El Arte mayor de Juan de Mena est toujours bon à lire (Anales de la Univ. de Chile, 1906).

 

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INVENTAIRE ESTIMATIF DU « MESTER DE CLERECÍA »1

 

 

GEORGES CIROT

Bulletin Hispanique. Tome 48, N°3, 1946. pp. 193-209.